Depuis son apparition en 2001, le Forum social mondial (FSM) ne cesse de surprendre et de susciter des questionnements. Quelle est sa nature ? Quel est son rôle ? Comment le FSM peut-il contribuer à la lutte politique globale pour la transformation sociale ?
L’ampleur des débats qu’il engendre n’a d’égal que les défis qu’ils se propose de confronter : en finir avec la mondialisation néolibérale et les multiples formes d’exploitation de l’humain et de la nature. La tâche est immense et impose de conjuguer humilité et ténacité. Car si nous en sommes là aujourd’hui, c’est parce que d’autres avant nous sont partis à l’assaut du ciel et ont cherché eux aussi, avec souvent rien d’autre que la force de leurs convictions, à renverser le cours de l’Histoire. La lutte est globale, collective, historique et diversifiée. Et comme dans la fable du colibri, nous devons continuer à faire notre part, en fonction de nos ressources et de nos habiletés, pour entretenir nos rêves et poursuivre le mouvement.
Le FSM est apparu il y a près de 20 ans comme un rempart contre la pensée unique néolibérale portée par les élites économiques et politiques. Il s’est présenté dès l’origine comme une innovation sociale et politique postulant que pour construire «l’autre monde possible», il fallait, d’une part, renforcer les réseaux d’acteurs de la société civile du local au global et, d’autre part, renouveler nos pratiques organisationnelles autour des principes d’horizontalité, d’autogestion et de diversité. Le monde a profondément changé depuis 20 ans et les crises répétées du capitalisme financiarisé ont conduit à la radicalisation des élites néolibérales qui cherchent désormais dans le néoconservatisme xénophobe un exutoire à l’impasse sociale et écologique de leur mode de développement. Les pistes ouvertes par le FSM n’en demeurent cependant pas moins pertinentes et nous permettent d’envisager l’avenir de la mouvance altermondialiste à l’aune de trois enseignements :
- Éviter le mirage de l’uniformité. Le FSM s’est construit contre la pensée hégémonique, le one size fit all prôné par les institutions de Bretton Woods, qui doit être imposé par la force (ajustements structurels ou politiques d’austérité) parce qu’il est complètement déconnecté des réalités locales. Il ne doit pas répéter cette erreur en tentant, au nom de l’urgence, de l’efficacité stratégique ou de l’opportunisme politique, de réduire la diversité des propositions alternatives et imposer un plan d’action commun, une hiérarchisation des priorités consignée dans une déclaration finale rédigée par quelques-uns et imposé à tous. Cela entraverait l’énergie créatrice dont nous avons besoin pour inventer les monde de demain.
- Ne pas attendre la solution miracle. Tout comme LE sauveur providentiel, LA solution miracle n’existe pas. Ainsi, plutôt que d’imposer une solution de masse, il importe de créer les conditions d’articulation des masses de solutions qui émergent. La transition sociale et écologique repose avant tout sur une révolution culturelle qui passe par la prise de conscience que chacun, dans son quotidien, est une partie de la solution et qu’il importe collectivement de soulever des questions sur les grandes orientations politiques plutôt que d’apporter des réponses toutes faites.
- Reconnaitre nos contradictions. À l’inverse du Forum économique mondial qui, depuis près de 50 ans se complait dans ses certitudes du haut des alpes suisses, le FSM a parcouru les villes de 4 continents (Porto Alegre, Mumbai, Bamako, Caracas, Karachi, Nairobi, Belém, Dakar, Tunis, Montréal et bientôt Salvador de Bahia) pour permettre la rencontre des peuples et constater l’immense diversité des cultures politiques, des projets, des stratégies et des initiatives transformatrices. Cette diversité culturelle doit être vue comme une richesse, un immense réservoir d’innovations sociales, tout comme l’est la biodiversité, plutôt que comme une entrave à l’unification des luttes. Il importe de reconnaitre nos contradictions plutôt que de s’épuiser à chercher à les dépasser. C’est en s’émancipant des conflits d’égo, des luttes de pouvoir et des intérêts larvés, mais aussi en acceptant que nous n’avons pas toujours raison et que plusieurs petites têtes ensemble valent mieux qu’une grosse tête seule, que nous bâtirons un monde de solidarité.
De toute manière, comme le disait Matthieu Ricard, il est trop tard pour être pessimiste.