Léo Palardy, participant au FSM 2024 au Népal avec le collectif québécois
Né dans le secteur informel en vue de donner aux femmes les moyens de vendre leur production artisanale pour sortir de la pauvreté, le microcrédit a connu un succès planétaire. La Grameen Bank (« banque du village »), créée au Bangladesh dans les années 80, s’est développée sur tous les continents du Sud alors que la clientèle atteignait sept millions avec des défauts de paiements de moins de 1 % !
Le panel « Abusive Microcredit And Exploitation Of The Poor » fut l’occasion de prendre connaissance de l’envers de la médaille de ce mécanisme maintenant intégré dans les stratégies du volet « lutte à la pauvreté » des objectifs de « développement durable ». Trois chercheur·euses et militant·es d’Asie du Sud ont témoigné sur les conséquences économiques et sociales des microcrédits au Sri Lanka, en Inde et au Pakistan.
Le microcrédit et la microfinance
Pour Amali Wedagedara du Sri Lanka, il est important de démarquer le microcrédit de la microfinance. La définition du microcrédit est trop englobante pour elle. Elle inclut à la fois les initiatives de financement communautaire et le crédit accordé à des fins lucratives par les grandes institutions bancaires (la microfinance). Pour elle, la microfinance est une forme profondément perverse d’exploitation des populations les plus pauvres et les plus marginalisées. Bien que le microcrédit se présentait à l’origine comme un moyen de lutter contre la pauvreté, les institutions bancaires et les créanciers concerné·es ont vite réalisé qu’il pouvait s’agir d’un business très lucratif.
Le microcrédit ou la microfinance est aujourd’hui responsable d’avoir fait tomber des milliers de personnes dans un cycle infernal de dettes et de crédit. Amali Wedagedara illustre son propos du cas de travailleur·euses agricoles qui se voient obligé·es de rembourser des prêts mensuellement avec des revenus saisonniers, ce qui les force à emprunter et à s’endetter encore davantage.
Madame Wedagedara s’intéresse en particulier aux conséquences de cet endettement pour les femmes sri-lankaises. Les femmes ayant recours aux microcrédits se retrouvent très souvent prises dans des dynamiques de harcèlement et de violences, notamment sexuelles, qu’elles subissent de la part de leurs créanciers. L’endettement par les microcrédits donne finalement lieu à une importante paupérisation et à l’accentuation des problèmes sociaux. En réponse, donc, à l’exploitation perpétrée par les grandes banques et aux violences qui en découlent, les femmes sri-lankaises se rebellent, s’organisent et demandent l’abolition de leurs dettes ainsi que de la microfinance !
Un mécanisme appartenant à la logique néolibérale
Shushovan Dhar, originaire de l’Inde, fait, lui, une analyse du phénomène des microcrédits comme mécanisme appartenant à la logique néolibérale. Pour lui, les microcrédits sont une invention découlant directement du projet de dérégulation économique dans lequel les gouvernements du monde entier se sont engagés dans les dernières décennies.
Il s’agissait de permettre aux banques d’offrir du crédit sans qu’elles n’aient à s’assurer que les débiteurs soient en mesure de rembourser leurs dettes. Il s’agissait aussi de permettre que ces prêts risqués se fassent à de très haut taux d’intérêt. Ainsi, les franges les plus pauvres de la population indienne se retrouvaient avec des prêts à près de 20 % d’intérêt, alors que la classe moyenne se voyait allouer des prêts à environ 8 ou 10 %.
Pour le chercheur, les microcrédits ne sont donc, à vrai dire, rien de moins qu’une farce, une très cynique farce. En effet, comment les franges les plus pauvres de la population seraient-elles en mesure de développer de petites entreprises à partir des microcrédits qui leur sont alloués et de rembourser leurs dettes, si même les plus riches et les grandes banques n’arrivent pas, aujourd’hui, à rembourser leurs dettes à des taux d’intérêt plus bas ? Comme de fait, les microcrédits qui, rappelons-le, étaient présentés à l’origine comme un moyen de lutter contre la pauvreté et d’assurer le développement des économies concernées servent aujourd’hui en majorité à payer les dépenses courantes des débiteurs endettés plutôt que le développement de petites entreprises.
Si les microcrédits ne font aujourd’hui qu’alimenter le cycle de la dette et la pauvreté, doit-on s’attendre à ce que ces prêts prennent fin ? Selon Shushovan Dhar, une tendance inverse est plutôt en cours, les prêts de type microcrédit tendent plutôt à se multiplier, ceux-ci qui se concentraient au départ dans les régions rurales sont de plus en plus courants dans les villes. Tel est le pronostic de Mr Dhar : plus la crise de la dette prendra de l’ampleur en Inde et plus les microcrédits se répandront.
Que propose-t-il face à cette catastrophe annoncée ? Le mouvement social contre la dette par les microcrédits doit redoubler d’ardeur et répondre férocement. Il faut, pour les premier·ères concerné·es, cesser de payer les dettes et revendiquer une protection sociale accessible de la part de l’État, ainsi que des prêts bancaires à des taux raisonnables.
Un développement semblable au Pakistan
Il s’agit pour le Pakistan, comparativement à ses voisins, d’un phénomène relativement récent. Ainsi, les problèmes découlant des microcrédits observables à des échelles massives au Sri Lanka et en Inde commencent seulement à s’y profiler. Cependant, tout porte à croire que le Pakistan n’est pas à l’abri de subir à terme, comme ses voisins, une grave crise de la dette induite par les microcrédits.
Pour conclure, bien que la crise de la dette par les microcrédits sévissant dans les pays d’Asie du Sud soit très inquiétante, soulignons qu’il est très encourageant de voir que dans chacun des pays concernés, d’importants mouvements de résistance populaire se mettent en place pour mettre fin aux abus de la finance et à la lâcheté des États soumis aux logiques néolibérales.
Référence sur l’atelier au FSM 2024: Abusive Microcredit And Exploitation Of The Poor
16 février 2024, à Katmandou
Panélistes et groupes organisateurs : Amali Wedagedara du Sri Lanka, Shushovan Dhar de l’Inde, panéliste du Pakistan, Nithya Joseph du Royaume-Uni, le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) et ATTAC Espagne.