La pandémie du COVID 19, tout comme la crise économique qui l’accompagne, met à jour, à nouveau, les inégalités entre différentes populations de la planète. Certes, le confinement et le rôle accru des États nationaux dans le déploiement des mesures d’urgence contribuent à ramener les préoccupations sur des initiatives nationales sécurisantes ! Néanmoins, tous n’ont pas les mêmes moyens pour faire face à la crise. Pour construire un Québec plus écologique et solidaire, il importe d’inscrire une démarche de sortie de crise dans une perspective de solidarité internationale. C’est pourquoi les enjeux entourant la dette des pays du Sud reviennent dans l’actualité, notamment à la faveur des événements dramatiques dont nous prenons connaissance.
La solidarité internationale, un combat politique du mouvement altermondialiste
On a trop longtemps associé la solidarité internationale au missionnariat religieux ou à la charité des « riches envers les pauvres ». Aujourd’hui, on la réduit trop souvent encore à « l’aide humanitaire ». Toutefois, il y a un autre type de solidarité internationale, associé au combat politique de transformation sociale.
Aujourd’hui, l’altermondialisme renouvelle cette solidarité plus internationaliste comme un combat politique anti-systémique, en opposition à la domination mondiale du néolibéralisme et du capitalisme. Elle participe à la lutte contre les inégalités sur la planète et de ce fait exige qu’on mette fin aux pratiques en violation des droits humains et destructrices de l’environnement. Ces inégalités ne sont pas le résultat d’un phénomène naturel, mais celui d’un processus d’accaparement de richesses et de pouvoir au détriment des peuples et de la planète.
Agir en solidarité internationale au Québec et au Canada, c’est soutenir le mouvement de boycottage, de désinvestissement et de sanctions (BDS) contre Israël, les luttes contre l’extractivisme, notamment celles qui impliquent des investissements canadiens comme ceux de la Caisse de dépôt en Colombie, les manifestations contre les interventions militaires américaines en Iran, le libre exercice de la souveraineté des pays du Sud contre les droits des transnationales dans le libre-échange. Les campagnes d’aide humanitaire ou les pressions pour la libération de dissidents politiques en Chine, au Chili ou en Arabie Saoudite, conservent toute leur pertinence, mais elles sont d’autant plus importantes qu’elles s’inscrivent dans un combat politique anti-impérialiste, en opposition au capital mondialisé et au néolibéralisme, qu’il soit chinois ou occidental.
Pour faire face aux défis de la pandémie, de la crise économique et aussi ceux liés aux changements climatiques, une profonde remise en question des systèmes de production et de consommation est à l’ordre du jour. Alors que les pays occidentaux disposent de moyens énormes pour soutenir leur économie, les pays du Sud peinent à contrer la pandémie et l’augmentation de la pauvreté.
Accroître les budgets d’aide internationale ne suffira pas, étant donné les exigences du point de vue même humanitaire. Aussi, cette aide est souvent intégrée aux politiques commerciales des pays du Nord envers le Sud, quand elle n’est pas carrément une aide liée. Les populations des pays du Sud doivent disposer de moyens pour agir en pleine souveraineté. Dans ce cadre, soutenir l’annulation des dettes des pays du Sud vise à briser « un des nœuds qui fait tenir le vieux monde, celui qui résiste à la décolonisation, qui maintient la dépendance et qui renforce les discriminations » [1].
Les enjeux entourant le remboursement de la dette par les pays du Sud
Les ententes de remboursement de la dette entre les pays du Sud et les institutions internationales de la mondialisation néolibérale comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale ne tiennent plus. Il est impossible pour ces pays de respecter les exigences de remboursement, un mécanisme central de mise en œuvre des politiques d’austérité. La remise en question du remboursement de la dette et la contestation des dettes illégitimes sont des conditions nécessaires pour engager une sortie de crise égalitaire et respectueuse des réalités et de l’exploitation qu’ont subie ces pays dans le passé.
Selon les évaluations d’une ONG européenne, les quarante-six pays africains aux revenus parmi les plus faibles dépensent quatre fois plus pour rembourser la dette qu’en santé (7,8 % du PIB contre 1,8 %) [2]. Par ailleurs, Oxfam estime que les conséquences de la présente crise sanitaire et économique pourraient précipiter un demi-milliard de personnes dans la pauvreté [3] . On parle aussi d’un recul énorme de la fréquentation scolaire. Pas surprenant de constater qu’une coalition de 205 organisations de la société civile du monde entier demande l’annulation de tous les paiements de dette extérieure en 2020 et des financements additionnels d’urgence qui ne créent pas de nouvelles dettes [4].
Par ailleurs, la suspension du service de la dette lancée par le G20 en avril dernier prend des allures de résistance à l’annulation des dettes et de défense des privilèges des pays impérialistes. Selon un rapport du Réseau européen sur la dette et le développement (Eurodad), les critères pour limiter la générosité de la mesure excluent les pays du Sud parmi les plus touchés par la pandémie ! Aussi, le rapport évalue que la mesure du G20 ne concerne que 3,65 % des paiements de dette en 2020 par les pays en développement et ne fait que les reporter, sans les annuler ! [5]
L’annulation des dettes extérieures pour l’année 2020 pour 69 pays classés par le Fonds monétaire international (FMI) comme pays à faible revenu leur permettrait d’économiser jusqu’à 25 milliards US. À comparer aux milliers de milliards investis dans les pays du Nord pour soutenir l’économie domestique, il s’agit d’une somme modeste tout compte fait.
L’actualité du combat en solidarité internationale demande d’agir maintenant concernant la dette des pays du Sud, afin de susciter le développement d’une résistance mondiale aux politiques d’austérité que le FMI, la Banque mondiale et les classes politiques des différents États voudront mettre en place avec la sortie de crise. Les enjeux concernant les dettes des pays du Sud s’inscrivent au cœur du combat pour la justice sociale et climatique.
Le drame libanais et la dette !
Au moment d’écrire ces lignes, le nombre de morts continue d’augmenter après les terribles explosions dans la ville de Beyrouth, où vivent 30 % de la population libanaise. La ville est dévastée à moitié, plus de 300 000 personnes sont sans abris et le nombre de blessés est de plus de 7 000 ! Plus de la moitié de la population du pays se retrouve sous le seuil de la pauvreté. La cause de la déflagration, soit l’accumulation non sécuritaire de matières dangereuses, est à mettre en relation avec les coupures drastiques que les gouvernements successifs ont appliquées à la population, en protégeant la corruption mise en place depuis des années. Les mobilisations de l’automne dernier, qui ont réussi à chasser le chef de la corruption, Michel Aoun, semblent pouvoir se répéter, alors qu’une dizaine de députés ont démissionné et que de nouvelles élections sont appelées par le nouveau gouvernement de technocrates qui n’aura duré que trois mois.
Au cœur de la crise économique est la question de la dette. Pour la première fois de son histoire, juste avant la pandémie début mars, le Liban s’est déclaré en défaut de paiement de 1,2 milliard de $. La dette totale s’élève à 92 milliards de $, soit 170 % du PIB, alors qu’elle n’était que de quelques milliards à la fin de la guerre en 1990. Depuis, le Fonds monétaire international est sur place pour trouver une solution, non pas pour annuler la dette, mais la « restructurer », pour éviter que le pays ne se retrouve à nouveau en défaut de paiement. Si le peuple libanais réussit à chasser à nouveau son gouvernement, le moins qu’on puisse faire c’est qu’il puisse agir sans avoir à traîner une dette qui l’en empêche !