Ishtar, la déesse de l’amour , de la fertilité, de la guerre et de la sexualité. CC by Wikimedia Commons https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Ishtar_on_an_Akkadian_seal.jpg. image modifiée

Celia Sales

La Jineologîe est un mouvement de pensée qui s’inspire des mouvements de libération kurdes. Leur détermination a provoqué une dynamique unique parmi les mouvements féministes. En adoptant un point de vue anticolonial et anticapitaliste, cette théorie met en avant la liberté des femmes comme la clé de libération pour les groupes dominés au sein des sociétés.

Du kurde jin/jiyan signifiant femme/vie, et du grec lagos signifiant science, la Jineologîe est la science des femmes, cherchant à comprendre les fondements de la Vie.

Les travaux d’Abdullah Öcalan ont posé les bases conceptuelles de la Jineologîe. Cet auteur a consacré sa vie à lutter contre les systèmes d’oppression. Aujourd’hui Abdullah Öcalan est enfermé dans la prison d’Imrali, au milieu de la mer de Marmara en Turquie. Depuis le 25 mars 2021, le gouvernement d’Erdogan a renforcé sa peine, l’empêchant tout contact avec l’extérieur et avec ses proches.

En assumant la position idéologique adoptée et la vision binaire des sexes, cette approche offre un récit alternatif de l’histoire se distinguant des pensées féministes traditionnelles.

Un nouveau récit de l’histoire

La Jineologîe s’intéresse aux origines de la rupture entre les sexes qui a provoqué l’établissement du système patriarcal et la création d’une société de domination. Selon Abdullah Öcalan, à l’époque du néolithique, les sociétés étaient matriarcales. Regroupées dans les activités agricoles, elles avaient le rôle de collecter et de répartir les ressources équitablement au sein de la communauté. Chargées de l’éducation des enfants, elles ont également développé des connaissances en biologie et en médecine. En veillant sur la famille, elles ont éveillé leur intelligence émotionnelle, qui définit aujourd’hui les caractères liés à la féminité.

Les hommes étaient quant à eux responsables de la chasse. Cependant, des tensions montaient entre les deux groupes amenant à une rébellion masculine et à une révolution des mentalités. La force devient privilégiée pour assurer la survie du nouveau système, excluant les femmes de l’organisation sociale.

Le mythe du patriarche

Pour que le système patriarcal se renforce, il y a eu une triple rupture entre les deux sexes. La première repose sur la formation du mythe de la virilité basée sur une société autoritaire hiérarchisée composée de dominants et de dominés. La dialectique utilisée répand l’idée d’une supériorité incontestable des hommes. Elle justifie la violence et l’insensibilité comme caractère intrinsèque à l’identité virile. De plus, le patriarcat impose l’individualisme et l’impérialisme.

En parallèle, la femme est enfermée dans son espace familial, notamment réduite à son rôle de progénitrice. Elle est un outil qui doit élever le futur patriarche en répondant aux besoins de l’homme. Notons que le paternalisme assujettit autant la mère que l’enfant : seul le patriarche est légitime de s’exprimer et d’agir, les autres sont faibles et ignorants. Ce raisonnement fait échos aux discours de supériorité blanche encore utilisés aujourd’hui. La Jineologîe est donc un outil pour repenser les relations coloniales et l’esclavage.

Le monopôle religieux : institutionnalisation d’une idée dominante

La deuxième rupture entre les deux sexes repose sur la diffusion d’une religion monothéiste unique. La supériorité masculine devient incontestable, puisque Dieu le dit.

Il est impératif de repenser la science au sein de nos sociétés. Sous couvert d’objectivité, le positivisme généralise des raisonnements masculins qui excluent les femmes. La science masculine est légitime, car elle est neutre. Mais qu’en est-il de Marx qui mobilise la lutte des ouvriers sans se référer aux ouvrières ? Ou encore Freud qui explique l’hystérie par la frustration de ne pas être « l’être dominant » ?

L’État est lui aussi un outil du patriarcat. Il ne peut pas être démocratique, car il a été construit par ce système qui exclut les femmes des préoccupations et des canaux de décisions. Par définition, il ne peut donc pas être l’outil du peuple dans sa globalité. De plus, Abdullah Öcalan voit la famille comme une microsociété, soumise à la gestion du patriarche. Alors que l’État répond aux besoins de l’homme, cet espace privé lui permet de répondre à ses besoins individuels.

Finalement le système capitaliste et la recherche de profit ont fait perdre l’essence même de l’économie sociale. Par conséquent, la surconsommation, l’exploitation intensive et la pauvreté criminelle résultent du patriarcat.

Le serpent se mord la queue

Mais le mythe de la virilité renferme l’homme. D’une part parce que le pouvoir dans les régimes dynastiques, comme il y a eu au Kurdistan, est détenu par une petite poignée d’hommes. La domination du patriarche dans la sphère privée est le seul moyen pour les autres mâles de construire une identité légitime. C’est par ailleurs dans cet espace que les violences, telles que les viols et les féminicides, se font le plus librement. D’autre part, alors que les femmes ont développé leur intelligence émotionnelle, essentielle au vivre ensemble, l’homme se distingue de ses émotions allant jusqu’à se déshumaniser.

Appel à la révolution radicale

La liberté humaine ne pourra pas être totale tant que l’égalité des genres n’existe pas. La Jineologîe appelle à l’autonomie des femmes, afin de construire une société parallèle plus humaine. Les femmes ne peuvent pas s’appuyer sur les institutions déjà existantes puisqu’elles sont la cause et la conséquence du patriarcat. Il est par ailleurs difficile de lutter contre la dialectique basée sur des mythes légitimés.

Les travaux de Abdullah Öcaran ont déjà inspiré de nombreux mouvements tel le village de Jinwar, du nord à l’Est syrien. Aujourd’hui, les femmes sont socialisées dans un régime patriarcal. Il n’est pas question d’abandonner toutes les connaissances apprises, mais plutôt de se distinguer de l’oppression permanente pour la repenser et l’abolir. La révolution radicale doit être globale : puisque le patriarcat se nourrit de l’instrumentalisation de la femme, celle-ci a finalement le pouvoir de l’affamer.

Pour en savoir plus :

  • Jineologîe center. https://jineoloji.eu/fr/

Par Célia Sales