Célia Sales, participante au FSM 2024 au Népal et correspondante stagiaire au journal
Tout au long du Forum social mondial 2024, des banderoles #DalitsLivesMatter étaient exhibées. En s’inspirant du phénomène mondial du #BlackLivesMatter, les Dalits cherchent à attirer l’attention internationale. Lalbabu Ram Mahara est l’un d’entre eux. Alors que la réalité des Dalits au Népal est peu médiatisée, la communauté se mobilise pour atteindre l’égalité de droits et de traitement avec les autres castes.
L’instauration d’un système discriminant
Le Népal est encore organisé selon le système de caste qui s’est implanté dans la région il y a plus de 1500 ans. Malgré la parenté, il se distingue du système indien. Instaurées lors du règne du 11e roi Jayashtiti Malla, les castes sont déterminées selon le modèle Indu : les quatre grands groupes sont sous-divisés en plusieurs castes. Au Népal, il existe plus de 125 castes.
Les Brahmins étaient des chercheurs, les Kshatriya des militaires et les Vaishyas des commerçants. Les Shudras, la caste basse, étaient des serviteurs. Ce modèle les empêchait d’accéder entre autres à l’éducation, à la propriété privée et à certains temples religieux.
Bien qu’en 1964 ce système est aboli, la discrimination intercaste perdure. Deux ans après la grève générale de 2006, le Népal met fin à l’État indu et devient un pays laïque. Selon le recensement de 2021, 81,19 % de la population est Indu, perpétuant les traditions religieuses et le système de caste qui l’accompagne. Ces deux dernières années, plus de 200 Dalits ont été assassiné.es à cause de leur origine.
Une violence systémique généralisée
Les Dalits, anciennement appelés les Intouchables, sont l’ensemble des sous-castes discriminé.es par l’ancien système. Au Népal, 13,4 % des personnes font partie de cette communauté transnationale, qui se retrouve aussi en Inde, au Pakistan, au Sri Lanka et au Bangladesh.
La plupart d’entre eux habitent les zones rurales. Lalbabu Ram Mahara témoigne : «Je suis né au sein d’une famille pauvre de la communauté des Dalits au district Rautahat au Népal. Mon père est un fermier. Nous n’avons pas de terre, donc mon père doit travailler dans une exploitation comme ouvrier agricole».
Lalbabu Ram Mahara est le premier Dalit de son village à obtenir son certificat, ce qui lui permet d’accéder aux études supérieures. Il déménage alors à Kathmandu pour continuer ses études en sociologie. Malheureusement, les inégalités intercastes le rattrapent : «Venant d’une famille pauvre, j’ai dû arrêter mes études pour des raisons financières». Au Népal 42 % des Dalits vivent en dessous du seuil de pauvreté. Aujourd’hui Lalbabu Ram Mahara a pu reprendre ses études et concentre ses recherches sur sa communauté pour abolir le système de discrimination intercaste.
En plus de la discrimination structurelle, ils font face aux injustices quotidiennes : «Je ne peux pas aller dans les maisons des castes supérieures dans mon village. Je ne peux pas accéder à des points d’eau. Je ne peux pas manger collectivement avec les autres».
Lalbabu Ram Mahara remarque qu’au Népal certains animaux sont vénérés tel que les chiens ou les vaches, mais les Dalits continuent d’être persécutés: « Nous ne sommes pas considérés comme des êtres humains (…). Ma question est : pourquoi une société qui vénère les pierres continue de discriminer des personnes ? »
La mixité intercaste est un enjeu fondamental au Népal. Puisque le nom de famille indique l’origine, les familles des castes supérieures rejettent le mariage avec des Dalits. En 2020, Nabaraj BK et six autres Dalits sont retrouvés assassinés, dans un village de Rukum, à l’ouest du pays. L’homme a organisé un mariage avec une fille de caste supérieure.
La discrimination de caste amplifie les discriminations de genre, les femmes Dalits étant doublement affectées par ce système. Le 23 mai de la même année, une fille Dalit de douze ans est retrouvée morte après avoir été violée par son mari qu’elle avait épousé la veille, puisqu’il était de caste supérieure.
La lente avancée vers l’égalité
Les droits des Dalits au Népal progressent. En 2017, la National Dalit Commission est reconnue par les institutions népalaises, permettant d’intégrer leur voix au sein des débats publiques((Lalbabu Ram Mahara cite aussi le Cast based discrimination and untouchability crime elimination and punishment act de 2011 qui a permis d’intégrer plus de droits aux Dalits au sein de la constitution népalaise en 2015)).
Mais obtenir des droits ne signifie pas qu’ils ont le pouvoir de les exercer. Au Népal, environ 90 % des politicien.nes font partie des castes supérieures, empêchant des membres Dalits d’occuper des postes de l’exécutif. Bien que certain.nes d’entre eux soutiennent leur lutte, d’autres essaient de maintenir leur domination sociale.
Il en va de même pour les grands médias. Appartenant majoritairement aux Népalais.es de castes dominantes, ils invisibilisent la lutte des Dalits, par manque d’intérêt ou par volonté de faire taire. L’information est primordiale pour faire entendre leur voix : «Le Népal est un pays pauvre et petit, ayant peu d’influence comparée à l’Inde, donc notre histoire n’est pas racontée à travers le monde, ni par les médias internationaux, ni par les politiques».
Lalbabu Ram Mahara soutient que «le forum a eu un réel impact sur l’attention internationale auprès de la lutte des dalits au Népal ».
De plus il est optimiste sur l’évolution des consciences de la nouvelle génération. Moins traditionnels que leurs parents, les jeunes acceptent plus facilement l’intégration des Dalits au sein de la société. Kathmandu est une capitale diversifiée où la discrimination intercastes est moins légitimée que dans certains villages.
Le chemin vers l’égalité se laisse entrevoir, mais les changements sont lents. Le système de discrimination intercaste est encore meurtrier au Népal. Il est essentiel de promouvoir la solidarité internationale afin de donner plus de puissance à la lutte et permettre aux Dalits d’abolir ce système traditionnel légitimé il y a peu de temps de ça.
Pour en savoir plus:
Lalbabu Ram Mahara (de son autre nom Utsav Mahara) est étudiant en sociologie. Il fait partie du Nepal Voter’s Rights Forum, une association luttant pour le droit de vote. Il a participé au FSM avec le collectif du Asia Dalit Rights Forum et est impliqué dans de nombreux projets d’intégration et d’expression de la communauté Dalit au Népal.
- Amnesty International. 2023. Nepal: District Court’s historic verdict a welcome step for justice for Dalit community.
- Al Jazeera English. 2022. What’s behind caste violence in Nepal ? Witness documentary.
Par Célia Sales